WEN YIDUO

WEN YIDUO
WEN YIDUO

Peintre et lettré, Wen Yiduo fut le premier grand poète de la littérature chinoise moderne qui ait réussi à donner à la poésie de langue moderne, apparue après le «Mouvement du 4 mai», des formes originales, libérées des règles classiques mais respectueuses de la tradition chinoise et de l’esprit de sa langue. Les circonstances de sa vie conduisirent cet artiste, sensible et patriote convaincu, de l’admiration des classiques, puis de l’esthétisme occidental, à un engagement politique et révolutionnaire dans lequel il finit par trouver la mort. Son œuvre comprend quatre volumes et huit recueils de poésie, de théorie poétique, de critiques et d’essais divers, qui ont exercé – et exercent encore – une très grande influence sur les poètes de son temps comme sur leurs successeurs.

La révolte d’un esthète

Wen Yiduo est né dans le Hubei en 1899, au sein d’une famille de lettrés, où il reçut un enseignement classique traditionnel. Il écrit, tout jeune, des poèmes de facture classique. Étudiant de l’université Qinghua de Beijing, il est envoyé aux États-Unis de 1922 à 1925 pour y étudier la peinture et les beaux-arts, à l’institut des arts de Chicago, puis à New York. Mais son intérêt se porte surtout sur la poésie. Il rencontre H. Monroe, Carl Sandburg et Amy Lowell mais prend pour principal modèle le romantisme de Keats. Un premier recueil de poèmes Hong Zhu (La Chandelle rouge ; symbole de l’amour qui se consume pour brûler) paraît en 1923. Wen revient en Chine avec le mal du pays, la pitié pour ses compatriotes, le désespoir devant la situation de la Chine. Malheureux sur le plan personnel (il a fait un mariage traditionnel, arrangé par la famille, qui pourrait être un mariage d’amour si les vieilles conventions ne venaient constamment l’entraver), sans travail, sans aucune possibilité de faire la révolution littéraire dont il a rêvé alors qu’il était aux États-Unis, il pense trouver refuge au sein du groupe de Xin Yue (Croissant ), réuni autour de Xu Zhimo (1895-1931) et qui fonde la société de ce nom en 1928. Wen mène une vie studieuse et retirée, devient un spécialiste renommé de la forme poétique des Chu ci de Qu Yuan (IVe et IIIe siècles avant notre ère). Il publie en 1928 un second recueil de poèmes, Si Shui (L’Eau morte ; symbole de la patrie). Cependant, les Japonais envahissent le nord de la Chine en 1937. Wen Yiduo, professeur de littérature et de théorie littéraire depuis 1932 à Qinghua, a dû partir vers le Sud avec son université et s’est retiré à Kunming (non sans perdre une bonne partie de ses manuscrits et de ses livres). Mais l’exode qui le pousse sur les routes de Chine, le spectacle de la guerre civile et des indignités du pouvoir réveillent l’ermite qu’il avait décidé d’être, et le poussent à se révolter contre le Guomindang. En 1943, après la défaite du Japon, il rejoint la Ligue démocratique du peuple chinois dont les positions de démocratie libérale se sont rapprochées de plus en plus de celles des gauches, communistes et sympathisants, qui s’opposent au Guomindang. Plusieurs des membres notoires de cette société de plus en plus mal vue des autorités sont assassinés successivement. En juillet 1946, Wen Yiduo, qui vient d’assister aux funérailles de l’un de ses collègues de la Ligue et de prononcer un discours vibrant contre les assassins, est lui-même abattu à la sortie de la salle.

Renaissance poétique

Sans être d’une ampleur remarquable, l’œuvre de Wen Yiduo n’a cessé d’exercer sur les jeunes poètes une influence considérable. Confronté comme tous ses contemporains au problème apparemment insoluble des formes poétiques de langue moderne, il sut y apporter des solutions qui devaient faire école. Armé comme il l’était d’une très vaste culture traditionnelle, enrichi de ses études minutieuses de la langue et des rythmes anglais, d’où il tira des prolongements théoriques, il donna à la poésie de langue moderne (bai hua ) des formes originales dégagées de la prosodie classique, mais qui restent conformes au génie de la poésie chinoise. Contrairement à ses prédécesseurs immédiats, les poètes tentés par une poésie libérée au point de s’aligner sur la prose, Wen Yiduo soutenait que la poésie devait être un autre langage que le langage «naturel», et que la langue chinoise offrait des possibilités tout à fait particulières de beauté, qu’il fallait chercher à utiliser au mieux en s’astreignant au travail et à la discipline: «Plus l’artiste est grand, plus il aime danser dans des entraves.» Lui-même écrivit de moins en moins librement, dans des formes très réglées et soigneusement ciselées, dont il n’y avait eu aucun exemple avant lui.

Des deux recueils de poèmes de Wen Yiduo, le premier, Hong Zhu , a été écrit pendant son séjour aux États-Unis. Marqués par le romantisme juvénile de cette période de sa vie, ils expriment les émotions de l’homme (chansons d’amour pour sa jeune femme, élégies douloureuses pour l’enfant morte), celles du peintre (splendeur des paysages nouveaux, brillant des couleurs et des espoirs), celles du patriote blessé par le racisme ambiant, torturé par le mal du pays. Le second recueil, Si Shui , est écrit après le retour, dans l’étonnement douloureux d’avoir retrouvé une patrie si accablée. Le recueil tire son nom du titre du premier poème, très connu non seulement pour le symbole qu’il comporte et le ton qu’il donne à l’ensemble, mais parce que ce poème est lui-même une construction prosodique rigoureuse conforme aux recherches théoriques de Wen Yiduo. On retrouve dans L’Eau morte les thèmes du premier recueil, mais aussi des ballades de style plus épique sur les malheurs de la guerre et la misère du pays, l’ancienne nostalgie du poète traditionnel perçant ici et là, sous les formes modernes, pour une échappée vers l’Idéal, le Miracle du monde réparé ou de la «Porte d’or» entrouverte sur le Ciel... Ce poète à la personnalité si complexe et si émouvante, esthète formaliste mort en héros au service de la liberté et de la révolution, ne pouvait pas faire l’unanimité des critiques. Certains le vénérèrent pour sa mort mais blâmèrent les heures passées dans le studio de Croissant , à rêver d’un art et d’une littérature sans classes; d’autres apprécièrent son romantisme occidentaliste ou archaïsant, mais raillèrent ses poèmes «carrés comme des fromages de soja», etc. Concernant le premier grand créateur de formes poétiques de la littérature chinoise moderne, on assite à des appréciations qui rendent enfin justice et à l’homme et au poète.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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